Le journaliste n'a pas toujours bonne presse. Hum, je voulais dire, on attaque souvent les journalistes pour diverses raisons : copinage, déférence voire incompétence. On l'accuse de mettre de l'huile sur le feu, de fouiller un peu trop, de remuer ce qui ne sent pas bon.
Bref, le journaliste n'est pas forcément le bienvenu.
Le but de ce dossier n'est pas de redorer la profession, mais plutôt, à travers quelques livres et quelques films - que j'ai beaucoup aimés -, de voir comment les auteurs le mettent en scène.
1) Le Journaliste : vendu ?
Bien sûr ce titre est provocateur et réducteur, car des essais ont bien montré comment la presse française était depuis quelques années sous l'emprise de personnes plutôt riches, voire milliardaires. Ainsi, le Monde Diplomatique nous proposait il y a quelque temps une carte des médias français intitulée "qui possède quoi ?".
De nombreux essais ont vu le jour ces dernières années pour dénoncer ces dérives. A la suite du documentaire de Gilles Balbastre sorti en 2012 "Les nouveaux chiens de garde", Aude Lancelin publie son "Monde Libre" en 2016, la même année où Laurent Mauduit sort "Main basse sur l'information", et en 2020 Sophie Eustache parle de la pratique du bâtonnage. Mais aussi :
D'autre part, il est à noter que la France occupe seulement le 34ème rang dans le classement mondial de la liberté de la presse
2) Le Journaliste : vautour ?
L'exemple parfait du journaliste vautour, prêt à tout pour dénicher un scoop, se trouve dans le dernier film de Clint Eastwood : "Le Cas Richard Jewell". En effet, le personnage de Kathy Scruggs interprétée par Olivia Wilde, cherche à tout prix à devancer ses homologues. Pour cela elle est prête à faire beaucoup de choses, et notamment à aller un peu vite en besogne lorsqu'elle pense avoir trouvé un tuyau fiable. Dans le film, la journaliste ne se soucie pas des conséquences de ses articles, et surtout elle se soucie guère de connaître la vérité. Du moins c'est ce que l'on croit au début du film.
Je vous conseille ce film même si j'émettrai quelques réserves : Eastwood revisite une énième fois le thème libertarien de l'individu contre le gouvernement et les médias, avec manichéisme, même si le personnage central est très bien incarné et ambigü à souhait.
Un autre exemple du journal charognard, qui utilise les écoutes téléphoniques ou la corruption de policiers pour arriver à ses fins : le fameux tabloïd anglais "News of the World". Propriété du magnat de la presse Rupert Murdoch, ce journal utilisait dans les années 2000 des moyens illégaux tout à fait impunément pour détruire des réputations et même parfois des vies entières. L'affaire a été révélée la première fois en 2010 par Sean Hoare. Ce scandale politico-médiatique a fait l'objet d'un épisode d'une série documentaire tout à fait passionnante diffusée en 2021 par Arte. Cela se suit comme une fiction, je vous la conseille vivement :
D'ailleurs, Jesse Armstrong, le scénariste de la brillantissime série "Succession" ne s'y est pas trompé : il a emprunté beaucoup à Rupert Murdoch pour le personnage central, j'ai nommé Logan Roy. Ne vous arrêtez pas à vos premières impressions : oui, tous les personnages de cette série sont antipathiques, mais la saga familiale possède un souffle romanesque rare. Cette série a tout pour devenir une grande oeuvre, à ranger aux côtés des Soprano, Mad Men et The Wire. Tiens, tiens, toutes sont produites par la chaîne HBO, au passage.
Enfin, et on aurait peut-être du commencer par là, dans l'histoire de la presse on peut remonter au 19ème siècle pour voir l'apparition d'un journalisme de faits divers, qui "a bien compris la fascination pour les faits divers qui brisent les codes sociaux et régalent nos instincts voyeurs."
Attention, cela ne veut pas absolument pas dire que ce "journalisme de faits divers" est forcément quelque chose de néfaste. Cette rubrique sert parfois à certains journalistes à se faire la main et surtout à prendre le pouls de la société, d'une ville, d'un quartier. En témoigne le formidable récit de Philippe Pujol, journaliste et écrivain, qui a passé onze ans à couvrir les faits-divers pour le journal « La Marseillaise ». Passionnant :
3) Le Journaliste : héros ?
Le journaliste peut également être dépeint en véritable héros de la démocratie, emblème d'un contre-pouvoir prêt à risquer sa vie pour révéler des affaires de corruption dans un régime autoritaire par exemple.
J'ai regardé récemment un film qui met en lumière le travail d'enquête des journalistes, et ce de la plus belle des manières. Il s'agit de "Spotlight", un film américain de 2015 réalisé par Tom McCarthy. Les journalistes qui font partie de la cellule d'investigation "Spotlight" ne risquent pas leur vie mais ils sont intègres et dévoués corps et âme à leur métier et vont mettre à jour un scandale au sein de l'Eglise Catholique. Film très académique, mais efficace et passionnant, qui décrit minutieusement le travail d'enquête d'un journaliste.
A voir également : "Pentagon Papers"
A ranger parmi les plus grands films de Spielberg, tant cette ode au journalisme est bien réalisée. A la manière d'un thriller qui, dans le montage et l'image emprunte aux plus grands (Alfred, bonjour), le réalisateur revisite un épisode mythique de l'Histoire américaine. Tout est classique, dans le meilleur sens du terme, et pourtant ce film est bizarrement rafraîchissant. Peut-être que ça fait du bien de voir des gens qui croient encore à de grandes causes collectives. Et surtout cela fait du bien quand à la fin, c'est le citoyen qui gagne.
Le classique "Les Hommes du président", tourné en 1976, est un indémodable qui raconte comment deux journalistes du Washington Post (interprétés par Dustin Hoffman et Robert Redford) ont poussé une enquête apparemment anodine qui va les mener vers le scandale maintenant bien connu du Watergate.
Je vous conseille également le très bon podcast "Les mécaniques du journalisme" qui décrypte les rouages des enquêtes sur l'affaire Fillon, Benalla, Cahuzac, LuxLeaks, Panama Papers, la guerre en Syrie et l'affaire Spotlight (pédophilie dans l'Eglise américaine). Il est fascinant d'écouter les protagonistes retracer l'origine de ces affaires, car nous sommes à la fois bien au-delà et en-deça de la fiction.
Je m'explique : on pense souvent au complot lorsqu'une affaire d'envergure éclate au grand jour, aux intérêts d'une source qui aurait tout donné à la presse. C'est parfois le cas, mais bien souvent c'est un simple travail sur un sujet apparemment anodin qui va déboucher sur quelque chose d'autrement plus grand.
D'autres fois, c'est le contraire : on pense par exemple que la communication du gouvernement est tellement bien huilée qu'elle va se sortir facilement d'une affaire. Or de bourde en bourde, le gouvernement s'enlise dans des justifications de plus en plus intenables.
La saison 5 de la plus grande série de tous les temps, The Wire, traite elle aussi du travail de journaliste, en l'occurrence au Baltimore Sun. Série chorale, magnifiquement interprétée et relatant le quotidien d'une ville à travers ses différentes strates, vous ne pouvez passer à côté de cette oeuvre majeure du petit écran.
Enfin, je ne pourrai finir ce paragraphe en ne vous recommandant pas ce formidable documentaire "Manipulations : une histoire française", diffusée il y a une dizaine d'année sur France Télévisions. Voici ce qu'en disait le journal Le Monde en 2011 :
"Aussi haletante, alambiquée et humainement puissante que les meilleures séries de fiction, "Manipulations, une histoire française" méritera d'être revue en regardant les six épisodes à la suite, pour mieux en goûter l'exaltante et terrifiante dramaturgie. C'est dire que ceux qui s'intéressent aux mécanismes secrets au sein du pouvoir, aux liens entre haute finance et ventes d'armes, au monde des multiples services secrets, suivront sans désarmer chacun des six épisodes."
4) Pour aller plus loin
Le journalisme au cinéma : liste de films
Journalistes et personnages de littérature : une liste non exhaustive
Journalisme et littérature : une longue histoire commune
Deux sites qui décryptent les médias : Arrêt sur Images / Acrimed
Et pour finir, une super bd sur l'histoire des médias :
Olivier