PAS MON GENRE (Ah mais moi je ne lis pas ça)
Il n’est pas rare d’entendre : "Je ne lis que de la SF/ "je ne lis jamais de SF".
Le mur semble bien là : affaire de goût ? marqueur social entre vraie littérature et sous genres ? il y aurait d’un côté la vraie littérature et de l’autre les littératures de l’imaginaire, et nous sommes tous convaincus de pouvoir faire la différence.
Or les lignes ont bougé ces dernières années. Rappelons-nous aussi qu’il n’en a pas été toujours ainsi. D’où est parti ce clivage ? Que s’est-il passé ?
D’abord l’histoire des lettres.
Rappelez-vous les débuts. On y trouvait Gilgamesh, les Sirènes et les dieux, Excalibur et les griffons des poèmes de L’Arioste (XVIème siècle, premiers voyages littéraires sur la lune). Rien à signaler. La littérature faisait bon ménage avec la « folle du logis ».
Or serait venu le cartésianisme puis le XIXème siècle, Zola et les romans réalistes enterrant sous leurs théories sociales les fantasmagories du passé.
Regardant de plus près cette période, on s’aperçoit quand même que les auteurs de ce fameux XIXe n’ont pas été tous réalistes, ou s’ils l’ont été, se sont permis un hors-piste clairement assumé : exemple L’élixir de longue vie, ou La peau de chagrin : Balzac.
Théophile Gauthier, Jules Verne ont écrit avant que le genre du roman imaginaire soit défini comme tel, opposé un peu artificiellement au mainstream ou « littérature blanche » (la vraie littérature, bien sûr). Ne parlons pas non plus de Conan Doyle et du monde perdu ou de Edgar Allan Poe.
Que s’est-il passé ? L’explication semble plus tenir de la sociologie que de la littérature !
Après la consécration du réalisme comme apogée du récit, ce dont l’école garde de nos jours une trace indéniable dans l’enseignement des « classiques », le genre réaliste a été dans la littérature un marqueur social d’élitisme.
Pendant que cette dynamique s’installait et oubliait sa contingence, sont venus quelques grands auteurs fondateurs ou précurseurs pour bouleverser la donne, et le mouvement est parti d’en bas.
Tolkien, Jules Verne et compagnie ont essaimé dans l’imaginaire mais (comme l’impressionnisme de son temps) sans reconnaissance officielle ! La SF et toute la fantasy ont donc donné lieu à une abondance de récits tous frappés de la malédiction du pulp : recherche d’un public populaire, couvertures baroques, faible intérêt pour le style.
De sorte qu’on sait, ou croit savoir, ce qu’est un roman de science-fiction ou de fantasy. En général, cela fonctionne. Voilà une sélection de nouveautés RSF contenant les livres sélectionnés pour le Prix Aventuriales spécialisé dans les littératures de l’imaginaires, on les reconnaît assez bien pour ce qu’ils promettent.
La sociologie de la lecture montre l’importante part des littératures de l’imaginaire chez les jeunes adultes et ados, génération des lecteurs de demain qui risquent d’imposer un jour leurs codes et habitudes comme norme. Les lignes bougent et les auteurs aussi !
Quelquefois ce sont eux qui passent eux-mêmes la frontière (maudite). Avant, ils n'écrivaient que de la littérature Mainstream. Et tout à coup...
Hervé Le Tellier a le Goncourt avec L’anomalie, Boualem Sansal fait la une et les Grands espaces Littéraires invitent Yara El-Ghadban pour La danse des flamants roses, ouvrage de science-fiction ; quant à Marie Darrieussecq, elle n’en est même pas à son premier roman fantastique ou RSF avec Notre vie dans les forêts (bien que toute l’œuvre soit ensemble dans le rayon « romans » de notre Médiathèque).
Sans parler de Margaret Atwood qui écrit allégrement dans tous les genres, bien qu’elle soit maintenant bien connue pour la Servante écarlate.
Une histoire peut être rebelle et ne pas se laisser facilement classer. Ovnis littéraires divers et variés, de Jorge Luis Borges à Murakami en passant par Boris Vian, je vous liste ci-dessous nos livres les plus « hors-piste ».
Et si nous bibliothécaires ne savons pas toujours où les ranger, c’est bien le reflet de nos préjugés.
Pour poursuivre la réflexion voici deux articles très complets :
https://blog.belial.fr/post/2009/10/09/Science-Fiction-et-Mainstream
https://usbeketrica.com/fr/article/la-science-fiction-un-genre-en-voie-de-deghettoisation
Bérénice