Le grand chaudron des trolls et des dragons
Par Bérénice Targaryen
5 mn avant la fermeture de la bibliothèque, dans les rayons littératures de l’imaginaire, vous cherchez d’un œil fébrile les icônes avec des dragons.
L’actualité vous déprime. Quoi de mieux qu’un petit tour en féérie ? Des mages en houppelande, des forces du Mal millénaires, de preux guerriers, sans doute une carte au début du livre … et des dragons.
Et donc, vous piochez votre poignée de livres en grande hâte, tous estampillés d’un dragon. Pas de risques de se tromper.
Et une fois chez vous… Horreur et maléfices, voilà le résultat : une sorte de romance avec des loups-garous, ….ici on ne sait même plus qui est du côté du Bien, et là… quoi ? Les personnages sont des chats ? Et là, des dragons, oui, mais dans le Londres actuel ? Ah, ces bibliothécaires ! Il faudra qu’ils s’expliquent !
Reprenons.
Il va donc se passer des événements bizarres. Ils sont parfaitement inexplicables dans notre réalité… donc nous ne sommes pas dans notre réalité.
Cf dossier Le grand bazar des livres bizarres # 1
Le terme de Fantasy adopté officiellement en 2007 n’est pas en rapport avec notre terme « fantaisie » mais avec le sens anglo-saxon proche de l’origine grecque du mot : imagination. Il désigne donc tout ce pan des littératures de l‘imaginaire faisant intervenir sans avoir à les justifier des êtres ou des événements irrationnels.
Contrairement au fantastique où l’étrange reste dérangeant pour notre esprit, et en opposition avec la SF où la science explique les phénomènes, il y a donc de la magie, des créatures fabuleuses, et les règles de notre monde sont allègrement contournées, détournées, altérées, etc.
Il y a toujours eu des œuvres de Fantasy depuis le merveilleux et les contes qui lui ont donné naissance jusqu’à l’éclosion progressive du genre tout au long du XXième siècle et l’explosion récente de la production et sa grande diversification. On peut toutefois esquisser de grandes catégories à partir du cadre de l’œuvre (quels liens a-t-il avec notre monde ?), ou bien d’autres éléments comme la tonalité ou le thème.
LE CADRE DU ROMAN ET SES RAPPORTS AVEC NOTRE MONDE
Le roman se déroule dans notre réalité. Cependant l’ambiance onirique et certains événements inexpliqués le tirent vers l’imaginaire. Nous sommes sur la lisière même du genre. Ce REALISME MAGIQUE, on le trouve chez par exemple Murakami, Italo Calvino, Gabriel Garcia Marquez, Borges…. est-ce ou n’est-ce pas de la Fantasy ?
Un auteur comme Kadaré réfute l’appellation due à cet élément d’irrationnel : « Il a toujours existé dans la littérature. On ne peut pas imaginer la littérature mondiale sans cette dimension onirique ».
Apparemment, les bibliothécaires de votre Médiathèque ont aussi conclu que ce n’était pas de la Fantasy et vous trouverez ces ouvrages dans les rayons de littérature classique. Finalement, il s’agit de partager avec les auteurs la croyance que la magie fait partie de notre perception subjective du monde. En ce sens on se rapprocherait plus du MERVEILLEUX qui assume sa croyance en la réalité des dieux et des légendes…
L’univers de notre roman est familier, « mimétique », c’est notre monde (à part les événements bizarres).
Nous sommes dans de l’URBAN FANTASY.
Loups-garous, magiciens, vampires, fées etc. ne sont pas des créatures mythiques, mais réelles. Comme dans True Blood où les vampires font leur coming out (mais pas forcément d’autres espèces…), ou comme dans Harry Potter quand on passe le mur du quai 9 ¾, il va falloir vivre avec cette idée ! Fantasmes liés à l’explosion des modèles sociologiques de notre siècle ces créatures interrogent la figure de l’Autre et du vivre ensemble en recréant exclusions, communautés et rites de passages. Quête d’identité et intégration font de ce genre un terrain de choix pour de la littérature young adulte ou adolescente, mais pas seulement.
Dans certains cas ces créatures vivent aux marges de notre société, terrées par peur d’un conflit avec les humains (dont la tolérance n’est que trop bien connue…) ou par mépris envers ces derniers. Elles forment une ou des castes à part, avec leurs codes propres. Entrer dans leur monde est une initiation où le personnage découvre soudain sa nature véritable.
Quelquefois les créatures sont parfaitement intégrées dans notre monde technologique, se rajoute la dimension surnaturelle. Certains préfèrent nommer UCHRONIE de FANTASY ce cas de figure, plus éloigné du fantastique et plus proche de la notion d’univers parallèle.
Pour aller plus loin et découvrir que tout est en fait beaucoup plus compliqué
Et plus spécialement pour la BD, quelques références bien choisies
L’univers de notre roman nous est familier… il nous rappelle nos cours d’histoire (à part les événements bizarres).
Nous sommes dans de la FANTASY HISTORIQUE.
Elle peut se situer dans le monde préhistorique, médiéval (fantasy arthurienne), renaissance, etc.. A rapprocher (certains en font tout un sous-genre) la FANTASY ORIENTALE.
L’histoire peut aussi se développer dans un XIXème siècle fantasmé avec une science différente qui s’est développée à partir des machines à vapeur. Dans ce dernier cas comme des éléments de science sont présents et que nous sommes dans une bifurcation du temps, on parle de STEAMPUNK, un genre hybride entre Fantasy et SF également à classer en UCHRONIE DE FANTASY.
L’univers de notre roman est familier mais les héros sont des animaux : c’est de la FANTASY ANIMALIERE ! L’anthropomorphisation des animaux peut être le seul trait fantastique. Elle est à distinguer de la fable par l’absence de visée morale. Contrairement aux autres récits avec des animaux parlants, les animaux sont les protagonistes principaux.
Depuis le Roman de Renart et le Vent dans les saules et en passant par L’appel de la forêt nous avons maintenant des best-sellers comme la Guerre des Clans de Hunter, et les dessins animés se sont emparés largement du genre, contribuant à l’orienter jeunesse.
L’univers de notre roman est familier mais tout à coup on passe dans un monde merveilleux. Dans la LOW FANTASY, l’histoire est ancrée au début dans notre réalité, et puis une rupture intervient, le ou les personnages se retrouvent dans un monde différent. Exactement comme dans le début de l’Enfer de Dante lorsque le narrateur s’aperçoit qu’il est perdu au-delà de toutes ses craintes ! Un exemple très particulier et attachant : les Chroniques de Thomas l’incrédule où le personnage inverse presque monde réel et imaginaire.
Vous trouverez ici une belle analyse de ce thème du passage.
Adieu, monde réel ! Dès la première page le pacte romanesque implicite nous demande de faire un reset d’à peu-près tous les paramètres. Il s’agit de HIGH FANTASY .
Nouveau monde, nouvelle carte, nouvelle société, botanique créative, coutumes invraisemblables, on repart à zéro… Quelques principes répandus pourtant : la lutte du Bien contre le Mal --- le héros ou l’héroïne qui se découvre un destin et les facultés lui permettant de l’affronter --- l’aide d’un mentor et l’apprentissage --- des forces du Mal millénaires qui menacent de reprendre le dessus --- dragons, elfes et gobelins etc.
Monde inventé, créatures diverses… mais vaisseaux spatiaux ou pouvoirs psy, présence de science et existence de la magie : la SCIENCE FANTASY ou SPACE FANTASY hybride gaiement Fantasy et Science-fiction. Un genre ou décidément tout est permis, comme dans Star Wars avec la coexistence de technologie, de pouvoirs émanant de la Force (et qui plus est situé dans un passé lointain). En roman, l’exemple type serait La Romance de Ténébreuse de Marion Zimmer Bradley. En BD : Kookabura., Les Naufragés d’Ytaq
LE TON ET/OU LE THEME DU ROMAN
Le héros est-il magnifié ? parfait ? noble et invincible ? il y a toutes les chances que vous lisiez des livres situés plutôt début XXème siècle et avant l’explosion du genre. On est dans l’épique quasi chimiquement pur, ce qu’on appelle aussi HEROIC FANTASY ou SWORD AND SORCERY. Attention, petite tendance du héros à des valeurs quelque peu patriarcales : épées volumineuses et testostérone garanties.
Inversement votre héros est … une héroïne. C’est une jeune femme valeureuse qui incarne un féminisme bien affirmé et fort en valeurs progressistes. D’où l’appellation de ROMANTIC FANTASY (un peu trompeuse car ce ne sont pas des histoires d’amour).
De Loevenbrück : La Moïra
De Bottero : La quête d’Ewilan
Votre héros déprime ! Est-il condamné à la violence sans fin d’un monde dangereux où ses seules valeurs seront de survivre au mépris de la vie d’autrui ? A l’évidence, le Bien ne gagne pas toujours. Encore faudrait-il que le héros l’incarne au lieu de courir après le pouvoir, l’argent, ou de se laisser abuser par sa soif de vengeance ! Voici la DARK FANTASY dite aussi GRIMDARK. L’époque médiéval et sa violence fournit souvent un cadre de choix. On s’éloigne du manichéisme autant que du triomphe du Bien pour se rapprocher de l’amoralisme et de l’horreur. Un genre incontestablement adulte. Ames sensibles passez au paragraphe suivant…
Place à l’humour ! Les codes de la Fantasy se retournent contre eux-mêmes et se parodient sans vergogne. Bienvenue dans la LIGHT FANTASY où le mage s’embrouille dans ses formules et où le héros censé avoir des pouvoirs n’arrive pas à les faire marcher. Terry Pratchett et les Annales du Disque-Monde en est le maître incontesté pour avoir osé un monde effectivement posé sur une tortue géante…
Retour vers l’URBAN FANTASY (située dans notre monde et avec des créatures surnaturelles). Quoique, ici, il s’agisse surtout d’ une histoire d’amour.
Ce sous-genre apparu avec la saga Twilight a connu une explosion éditoriale depuis, au point de mériter l’appellation de ROMANCE PARANORMALE (plus romantique qu’érotique) ou BIT-LIT (euh, l’inverse ?) : croisement entre la Chick Lit (des œuvres légères et dans un univers non surnaturel type Journal de Bridget Jones) et l’urban fantasy. Ces histoires mettent en scène la rencontre entre un personnage humain et un personnage surnaturel (vampire, fée, loup garou, ange) qui essaient de vivre une relation sans se mordre malgré leurs différences.
Evidemment cette classification n’est qu’un essai pour mieux cibler ses envies de lecture et reste très indicative. Les auteurs prennent dirait-on un malin plaisir à déjouer les codes pour nous compliquer la vie … Cette hybridation permanente est la preuve évidente que le genre de la Fantasy, encore en pleine expansion, est loin d’avoir épuisé toutes ses possibilités !
Exemple types : Harry Potter, c’est de l’urban fantasy. Soit. Mais à tout prendre, le monde des sorcier est étanche de celui des Moldus et on retrouve bien la notion de passage comme dans de la low fantasy.
Entre Urban Fantasy Romance paranormale et Bit lit, le critère est la place prise par l’amour.
Et où classer Alice au pays des merveilles ? low fantasy à cause du lapin blanc et du mécanisme de passage ou light fantasy en prenant pour critère le ton humoristique ?
Que dire de Thorgal ? Fantasy historique ? oui, mais il est bien question de visiteurs extra-planétaires non ? Et n’y voit-on pas de vraies créatures mythologiques (fantasy mythique) ?
Allez, on prend un grand chaudron, avec des trolls et des dragons. Mais on rajoute des fées, des soucoupes, des engrenages, et on remue bien.
Ah, la Fantasy, c’est vraiment du n’importe quoi…