traverser

On traverse des foules toute sa vie, pour ne pas se perdre ou perdre des morceaux de soi. Je traverse la foule comme on traverse la vie, je contourne. Un jour comme un autre de décembre, Dorothée se confronte à l'indicible : le suicide de son mari, qui la laisse seule avec deux petites filles face à un gouffre d'incompréhension. Tout ce qui entoure la mort est pénible, long, compliqué. Il faut attendre, répondre à des questions. Mais le deuil donne aussi le droit de s'affranchir des conventions. Dorothée veut qu'il éclate à la face du monde, elle veut rester qui elle est, une femme qui jouit. Pas seulement une veuve et une mère, mais une femme libre avec son imaginaire et son grain de folie. Alors, passés le choc, la colère et la douleur, elle prend ses émotions et ses enfants sous le bras, qui l'épuisent et la comblent. Les fantômes, elle les brûle. 

Ce roman est une véritable leçon de vie. Cette femme, mère de deux toutes petites filles, aurait pu se laisser porter, se laisser sombrer, se laisser avaler par l’horreur de la situation qui lui est tombée dessus sans prévenir. Mais non, Dorothée a choisi de traverser la foule, et de le faire avec panache et folie. Entre humour et désespoir, malheur et jouissance(s), elle nous embarque avec elle, et c’est pour le mieux.

Audrey

undernickel boys

Colson Whitehead, romancier américain est l’un des rares écrivains à avoir remporté deux fois le Prix Pulitzer pour des fictions : en 2017 pour Underground Railroad et en 2020 pour  Nickel Boys.

Deux grands romans bouleversants basés sur des faits historiques qui racontent et dénoncent les conditions inhumaines de vie – de survie – des afro-américains.

Le premier, Underground Railroad décrit la fuite de Cora, 16 ans, esclave sur une plantation de coton en Géorgie, à travers les Etats du Sud dans les années 1850.

Entre la guerre d'indépendance, la guerre de Sécession, de la Caroline du Sud à l'Indiana, elle utilise le réseau clandestin d’aide aux esclaves fugitifs pour conquérir sa liberté. Ce réseau a réellement existé et sauvé nombre d’hommes et de femmes réduits en esclavage. Cora survit à toute les humiliations et les violences en gardant l’espoir d’un avenir sans servitude. Elle rencontre des individus engagés au risque de leur vie pour secourir leur prochain, d’autres qui trahissent par « conviction » ou cruauté et elle découvre que - quelle que soit leur couleur de peau - il existe des êtres bons et d’autres fourbes.

Le second,  Nickel Boys se déroule essentiellement à la ‘Dozier School’ une maison de correction pour jeunes détenus mineurs, en Floride, en 1960. C’est le plus grand centre de rééducation des États-Unis, et il est particulièrement célèbre pour les mauvais traitements infligés à ceux qui y ont séjourné, spécialement s'ils n’étaient pas blancs.

Elwood Curtus, afro-américain, est le personnage central de cette terrible histoire. Il est victime de malchance et de sa couleur de peau et se retrouve enfermé à la Dozier School alors que son avenir semblait prometteur. Là, les enseignants, le personnel administratif comme les élus, utilisent les garçons prisonniers à des fins commerciales ou pour défouler toutes leurs pulsions de violence voire de sadisme. En 2010, une équipe d’étudiants en archéologie a effectivement mis à jour le cimetière clandestin de cette école et c’est à partir de cette découverte que l’on a pu prendre la mesure des horreurs qui s’y étaient produites en toute impunité.

Ces deux ouvrages m’ont impressionnée et totalement embarquée, non seulement par les histoires qu’ils racontent mais aussi par la façon dont la narration se construit et par les émotions qu’elle suscite.

Malgré la violence de leur condition, les préjugés imbéciles dont ils sont victimes et l’accumulation de situations inextricables, Cora et Elwood sont des héros magnifiques. Ils restent pleins d’espoir, de confiance et d’humanité même si leurs bourreaux en manquent totalement. Car l’amour et/ou l’amitié sont des sources de réconfort et stimulent leur courage de façon admirable.

Mêlant présent et passé, s’attachant à deux périodes historiques différentes mais où la douleur et l’injustice se rejoignent, la voix de l’auteur est en retrait, comme pour laisser toute la place aux sans-voix qu’il défend.

Véronique

Pour aller plus loin, la série télé adaptée du roman Underground Railroad

 

 

trauffaut

La leçon de cinéma par François Truffaut, Flammarion, 2021

François Truffaut livre ses secrets de cinéma.En 1981, François Truffaut, l'ancien fougueux critique de cinéma, fait l'autocritique de ses propres films.En s'appuyant sur des scènes et des anecdotes de tournage, Truffaut revisite, avec émotion et franchise, sa carrière, des Mistons (1959) à La Femme d'à côté (1981).Des échanges précieux dans lesquels il se remémore la genèse des films, révèle leurs secrets de fabrication et n'hésite pas à juger avec sévérité certains de ses partis pris de mise en scène. Un long entretien...

Lors d’interviews données aux journalistes Jean Collet, Jérôme prieur et José Maria Berzosa, en 1981, Truffaut revisite chacun de ses films et en fait une autocritique sans retenue. Jamais encore exploité dans son intégralité, le résultat de ces entretiens est une vraie leçon de cinéma et une surprise de taille 40 ans après la disparition du cinéaste.

Johanne

peer

Adapter Peer Gym dans une langue étrangère n'est pas chose aisée. Celui qui s'attelle à cette pièce de théâtre doit faire le choix de respecter, mot après mot, son caractère poétique, ou de s'approcher au plus près des expressions et des situations. Le premier livre adapte les actes I, II et III. Le second clôture la pièce avec les actes IV et V. Pour situer cette œuvre, la question la plus pertinente serait : qui est Peer Gynt ? Peer Gynt est un rêveur, c'est ce qui le rend attachant. Volubile, fou, mais aussi égoïste, lâche et avide. Peer Gynt est un homme percé. Un homme à vides. Au fil de la pièce d'Ibsen, l'itinéraire ambitieux de notre antihéros se verra ponctué de voyages et de rencontres. Il s'agit d'un personnage qui, dans sa fuite en avant, va se confronter à ce que chacun redoute, celui avec qui on doit négocier durant les moments les plus sombres : soi-même.

Adaptation BD superbe de la folle pièce de théâtre de Henrik Ibsen.

Véronique

Le fils de l homme

Après plusieurs années d'absence, un homme resurgit dans la vie de sa compagne et de leur jeune fils. Il les entraîne aux Roches, une vieille maison isolée dans la montagne où lui-même a grandi auprès d'un patriarche impitoyable. Entourés par une nature sauvage, la mère et le fils voient le père étendre son emprise sur eux et édicter les lois mystérieuses de leur nouvelle existence. Hanté par son passé, rongé par la jalousie, l'homme sombre lentement dans la folie. Bientôt, tout retour semble impossible. Après Règne animal, Jean-Baptiste Del Amo continue d'explorer le thème de la transmission de la violence d'une génération à une autre et de l'éternelle tragédie qui se noue entre les pères et les fils.

Le père, la mère, le fils, c’est ainsi que les 3 personnages centraux de ce roman sont désignés tout au long de cette intrigue simple et sous tension.

A travers le tissage des saisons dans la montagne et des évènements citadins qui les ont précédées, je me suis attaché peu à peu au fils, un garçon de 9 ans. Acteur et témoin du drame en devenir, il est très lié à sa mère avec qui il vivait seul avant le retour inattendu de ce père quasiment inconnu. Il découvre les beautés de la nature et s’y sentirait bien si le père n’était pas si étrange.

Au départ, malgré les doutes et la peur naissante de la mère, il n’y a pas vraiment de violence visible de la part du père. Mais la jalousie, puis peu à peu la démence tissent leur toile pour les retenir aux Roches, une maison inhospitalière, sans confort.

Ce père, rustre et maladroit, lui-même souffre-douleur de son père qu’il a fui. Ce lieu dont il a été victime et où il revient exorciser ses démons en les reproduisant.  Transmission de l’espoir puis de la brutalité, on sent poindre la fin, forcément dramatique.

Avec une langue recherchée, précise, presque précieuse, Jean-Baptiste Del Amo construit un roman parfois déroutant mais il m’a été impossible de le lâcher dès l’immersion dans ses premières pages.

Véronique

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La vie de Madeleine Riffaud, figure de la Résistance qu'elle rejoint en 1942, à Paris. Elle prend le nom de Rainer en hommage au poète Rainer Maria Rilke. Amie de Pablo Picasso, de Paul Eluard et de Hô Chi Minh, elle devient grande reporter après la guerre, s'engageant contre le colonialisme. Dans ce premier volume, elle évoque son enfance et son adolescence sous l'Occupation

Madeleine Riffaud, connue dans la résistance française sous l'alias Rainer Maria Rilke (du nom de l'écrivain), aujourd'hui âgée de 97 ans raconte dans cette bande-dessinée son histoire.
Née entre les deux guerres, elle décide dès 1940 que son avenir se jouera avec les résistants ou ne se jouera pas. Une jeune femme déterminée qui endura tout pour sauver son pays.
Elle ne veut pas être un symbole ni être considérée comme une femme extraordinaire.
Elle dit d'ailleurs que "la seule chose extraordinaire dans cette histoire, c'est que je sois encore en vie pour la raconter".

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Pour aller plus loin : Podcast France Culture Mémoire d'une résistante

Silvia

dans la maison revee

Pour raconter ce qu’elle a vécu, Carmen Maria Machado a inventé une forme pyrotechnique qui n’appartient qu’à elle et qui étonnera plus d’un lecteur. En déroulant de courts chapitres dont chacun joue sur les codes d’un genre littéraire particulier (du roman fantastique à l’histoire horrifique en passant par… le livre dont vous êtes le héros), Dans la maison rêvée ne se contente pas de relater les faits d’une histoire singulière : il interroge aussi la force des clichés et des représentations, dissèque les mythologies qui fondent notre rapport aux autres, que celles-ci proviennent des contes de fées ou de la pop culture. Un récit nécessaire, furieusement innovant, et qui fait l’effet d’une détonation. Par l’expérimentation littéraire, l’écrivaine américaine sublime le récit de sa relation avec une femme abusive. Un livre hanté.

Objet littéraire original, récit d’une histoire comme il en existe des milliers d’autres -pourtant passées sous silence. Mon « page-turner » de cette fin d’année.

Audrey

christe

Jacques Gipar a disparu. Petit-Breton a beau retourner tout Paris, aucune trace du célèbre journaliste. A-t-il été enlevé par les russes qu'il avait pris en chasse ? Et si Jacques Gipar était mort ? Petit-Breton va devoir prendre les choses en main et donner de sa personne afin d'élucider cette étrange disparition. Mais être enquêteur n'est pas de tout repos, et il va s'en apercevoir bien vite !

 

Très bel hommage à Tillieux et au Spirou des années 1960 de Franquin

Arnaud